Tome IV, 1re partie : Épidémies I et III
« Le traité, dont le titre originel est inconnu, est l'un des fleurons les plus remarquables du rationalisme hippocratique. Malheureusement il a été victime, dès la haute Antiquité, d'une dislocation accidentelle au cours de la transmission du texte. Traité unique écrit par un seul et même médecin, il a été transmis en deux livres séparés intitulés Épidémies I et Épidémies III, alors que cette dislocation ne correspond à aucune division majeure du traité originel, les deux parties devant être remises bout à bout pour réunir ce qui était déjà séparé au temps de Galien. C'est l'œuvre d'un médecin qui a été un maître de l’observation de la réalité quotidienne du malade qu’il a confiée à l’écriture. C’est, en effet, le traité le plus ancien où apparaissent des fiches de malades décrits au jour le jour de la maladie. On dispose ainsi d’une totalité de quarante-deux fiches de malades auxquelles il faut ajouter les noms de vingt-six malades particuliers cités en exemple au cours d’un tableau nosologique. Ce médecin a exercé particulièrement dans la Grèce du Nord à Thasos, mais aussi dans d’autres cités de la côte thrace ou de Thessalie. C’est ce qui ressort de l’examen des fiches où le médecin présente dans nombre d’entre elles non seulement des précisions sur l’identité du malade, mais aussi des indications topographiques, sur la cité où il a examiné le malade, voire sur son adresse par référence à un lieu connu de la cité.
À cette observation du détail guidée par tout un savoir médical implicite sur la classification des maladies et sur la signification diagnostique et pronostique des signes pathologiques, l’auteur ajoute un sens remarquable de la synthèse, guidé par la conviction que les maladies suffisamment répandues dans la population d’une cité pour avoir le statut de « maladies épidémiques » s’expliquent dans le cadre environnemental des quatre saisons de l’année. C’est à l’intérieur de ce cadre, la constitution climatique de l’année (κατάστασις), que le médecin présente quatre tableaux nosologiques dans une cité donnée, en l’occurrence Thasos (au moins pour les trois premières). Ces comptes rendus climato-nosologiques dressés dans une cité particulière sont, comme les fiches de malades, une grande première dans l’histoire de la médecine occidentale. Ils inaugurent l’émergence d’une médecine statistique avant la lettre sur la proportion des malades atteints par les différentes maladies au cours de chaque saison.
En troisième lieu, à la description du détail et à la vision d’ensemble s’ajoute un volet réflexif sur l’art de la médecine, où le médecin prend de la hauteur après les tableaux nosologiques et avant les fiches de malades. La fulgurance de certaines formules étonne. C’est en particulier le cas de trois considérations à la fin de la deuxième constitution (c. 11 § 2) qui sont restées parmi les plus célèbres de la collection médicale attribuée à Hippocrate : 1. sur la nécessité du pronostic dans les trois dimensions du temps : « Dire le passé, comprendre le présent, prédire l’avenir ».
2. sur la finalité de l’action du médecin : « pratiquer, à propos des maladies, deux choses : être utile ou ne pas nuire ».
3. sur la définition de l’art de la médecine : « L’art a trois termes : la maladie, le malade et le médecin. Le médecin est le serviteur de l’art. Il faut que le malade s’oppose à la maladie avec le médecin. » »
Incipit de la notice de Jacques Jouanna au présent volume