La Religion des morts - Comment le XIXe siècle a inventé le deuil moderne
Le XIXe siècle a été par excellence le temps du « culte des morts », ce culte familial du souvenir et de la tombe qui a été un de ses ancrages anthropologiques et religieux les plus profonds et les plus unanimes. L’Ancien Régime n’avait rien connu de tel. Et pour cause : son système d’inhumation était tout autre et l’essentiel était encore pour lui de prier pour les âmes des morts, pas d’aller leur rendre visite dans les cimetières. Les défunts étaient enterrés dans et autour des églises, les cimetières avaient des allures de terrains vagues, les tombes individuelles étaient rares et on ne pèlerinait que sur celles des saints.
Au XIXe siècle, tout change. Un nouveau type de cimetière émerge : le nôtre. Propriété communale, souvent séparé des églises et des habitations, plus étendu, il accueille un nombre croissant de tombes individuelles et familiales, pour certaines monumentales. Dans ce nouvel espace les rituels se modifient : visites fréquentes, dépôt de fleurs, recueillement, compatibles avec toutes les croyances et incroyances du siècle. Pompes funèbres et tenues de deuil envahissent l’espace public, le phénomène culminant chaque année à la Toussaint. Le culte des morts a ainsi été le grand phénomène de religion populaire du XIXe siècle, religion, traditionnelle et moderne, dans laquelle le deuil, non content d’être central, est devenu la religion elle-même.
Guillaume Cuchet est professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et codirecteur du Centre d’histoire du XIXe siècle de la Sorbonne. Il a publié notamment Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Anatomie d’un effondrement (Seuil, 2018).