
(environ
300
pages)
Ma fille, ne prie surtout pas pour les Algériens !
Auteur(s) Vaha (A01)
Editeur(s) CROQUANT
Collection(s) Essais et témoignages
Rayon(s) Anthropologie des mondes contemporains, Anthropologie sociale et culturelle, Anthropologie, SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES
Ean :
9782365124768
Date de parution :
10/04/2025
Résumé : Les campagnes et résultats des européennes et législatives de 2024 sont venus rappeler une nouvelle fois l’ampleur de l’enracinement des représentations sociales racistes dans notre société. C’est en effet sur la base de celles-ci que le Rassemblement National, et avant lui le Front National, travaillent, depuis plusieurs décennies, avec constance et cohérence, la société française. L’efficacité de cette action est redoutable en termes de production des peurs et des haines de l’Arabe et/ou du Musulman ou supposés tels. L’axe central de la stratégie mise en oeuvre par ce parti n’est rien d’autre que la remobilisation et la redynamisation d’un imaginaire et d’un espace mental hérités de la période coloniale. Le livre d’Isabelle Vaha est une contribution essentielle à la compréhension des effets durables de la barbarie coloniale sur la société française. En acceptant de nous livrer par son témoignage émouvant une intimité et une souffrance habituellement ensevelies dans un silence pesant, elle fait oeuvre de salubrité publique. Découvrir enfant que son père a été un tortionnaire n’est pas une banalité sans conséquence. Constater que cette « expérience » irrigue jusqu’à aujourd’hui le regard du père et de l’ensemble de la cellule familiale sur le monde et sur la quotidienneté n’est pas une anecdote sans effets importants. Décider d’en parler et d’écrire ce trauma, cette blessure non cicatrisée, cet héritage pesant et encombrant, etc., est un cadeau offert à notre société. En acceptant de nous livrer une part de son intimité, Isabelle, met des mots sur une réalité qui concerne la plus grande partie de la société française. Frantz Fanon soulignait déjà dès la décennie cinquante que l’oeuvre destructrice de la colonisation touchait sous des formes différentes la société colonisée comme la société colonisatrice. La déshumanisation de la seconde est en effet le prix à payé pour les violences subies par la première. Aimé Césaire utilisait pour décrire cette déshumanisation le terme « d’ensauvagement » de la société colonisatrice. C’est à une image vivante de cette « déshumanisation » et de cet « ensauvagement » que nous permet d’accéder le livre d’Isabelle. Loin d’être une exception, la trajectoire du père et l’héritage encombrant d’Isabelle ne sont pas des cas isolés. Ce qui les distingue fondamentalement de centaines de millier d’autres situations c’est la décision d’en parler, d’en décrire la banalité quotidienne, de souligner la prégnance du passé sur le présent. Ce faisant elle contribue à la nécessaire décolonisation de la société française, à l’indispensable rupture avec l’espace mental colonial qui est loin d’avoir disparu avec l’indépendance des colonies et plus particulièrement de l’Algérie. Cinq siècles d’esclavage, un siècle et demi de colonisation, la diffusion par une multitude de canaux [livres scolaires, chansons, humour, zoos humains, etc.] d’images racistes pour légitimer ces deux crimes contre l’humanité, l’enrôlement de centaines de milliers de jeunes dans la guerre d’Algérie, etc., ne peuvent pas ne pas avoir profondément imbibés l’ensemble de notre société. Esclavage et colonisation, expliquait déjà Frantz Fanon suppose de faire intérioriser un sentiment d’infériorité pour les uns et un sentiment de supériorité pour les autres. C’est ce sentiment de supériorité profondément ancré, inscrit dans les socialisations, posé comme une évidence, autorisant à toutes les violences, qu’exprime le père d’Isabelle et les autres adultes de la famille. Les groupes sociaux et les sociétés humaines sont comme les individus résultats de leur histoire. Pour le meilleur et pour le pire les effets du passé continuent à irriguer le présent. C’est pour cette raison que nous pouvons affirmer que l’histoire est aux peuples ce que la psychanalyse est aux individus. Le silence à l’échelle individuelle comme sur le plan collectif conduit à la reproduction et à la répétition. Mettre en mot comme le fait Isabelle l’horreur coloniale et le racisme qu’elle suppose est en conséquence un incontournable pour rompre réellement avec eux. On ne dépasse pas une page traumatique de l’histoire individuelle et collective sans la lire jusqu’au bout, jusqu’à la dernière ligne, jusqu’au dernier mot. Le livre de Raphaëlle Branche, « Papa, qu’as-tu fait en Algérie », paru en 2020, converge avec celui d’Isabelle pour interroger le silence familial sur l’expérience du million et demi de jeunes qui ont fait leur service militaire en Algérie et sur ses effets. Le témoignage personnel et intime de l’une et l’enquête sociologique de l‘autre, attestent communément, de l’ampleur des effets de ce passé colonial sur le présent. Ces contributions à briser le silence, socialement, politiquement et médiatiquement construit, sont à saluer. Sans de telles paroles en effet la reproduction du racisme colonial ne pourra même pas être ébranlée. Alors que la fragilisation de notre société, sa paupérisation et sa précarisation massive, font ressurgir le spectre du « bouc émissaire » à sacrifier, Isabelle nous indique le seul chemin possible pour éviter de nouvelles catastrophes. Dire le réel tel qu’il fut et tel qu’il est, n’est en rien comparable avec une quelconque « repentance ». L’histoire comme le présent n’a que faire de la repentance. Elles ont en revanche, tous deux, absolument besoin du regard lucide sur le passé et sur ses horreurs. Faute de ce regard les mêmes causes continuerons à produire les mêmes effets. Si nous ne sommes pas condamnés au pire, celui-ci reste cependant possible tant que le silence continue socialement et politiquement à imposer sa loi. Il n’y a aucun déterminisme absolu dans l’histoire individuelle comme dans l’histoire collective mais il existe en revanche des déterminants issus du passé qui ne peuvent être contrecarré que par la prise de conscience individuelle et collective qui suppose, elle-même, de briser les silences politiquement construits. La trajectoire d’Isabelle décrit une telle rupture avec ce qu’elle appelle « le déterminisme filial » en expliquant : « on n’est pas forcément bourreau de père en fille. Des assassinats peuvent être dissous dans l’altérité et dans le démontage d’une histoire mystifiée. Des tortures peuvent être pansées par l’acceptation de la différence et d’un autre panel de normes historiques et sociétales. Des massacres peuvent être annulés par leur dénonciation et l’écoute panoramique des survivants. Que l’on me comprenne bien ! Effacer l’histoire avec quelques circonvolutions littéraires pavées de bonnes intentions est impossible d’autant que certains en concèdent quelques aménagements fallacieux. Ce que je voulais démontrer, c’est qu’il faut du temps, certes, mais que l’aventure d’une reconstruction personnelle, par la voie, entre autres, militante, est possible et que la rupture avec des prescrits d’éducation à la haine est réalisable » Merci à Isabelle pour nous rappeler que si les circonstances font les hommes, ceux-ci peuvent décider consciemment de transformer ces circonstances. Elle nous rappelle ainsi le chemin emprunté par le passé par tous ceux qui se sont insurgés contre l’exploitations, l’oppression et l’injustice.
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