
La langue de l'Angkar - Leçons khmères rouges d'anéantissement
Comment bien torturer pour réussir un interrogatoire en bon révolutionnaire ? Comment présenter un dossier d'aveux qui satisfasse les dirigeants ? Voilà ce qu'enseigne Duch, le chef khmer rouge du centre de mise à mort S-21, aux interrogateurs qu'il forme de 1975 à 1978 à Phnom Penh. Ses leçons, qui dictent comment penser et agir au service du Parti communiste du Kampuchéa, ont été consignées avec soin dans un cahier noir à petits carreaux d'une cinquantaine de pages.
Anne-Laure Porée décrypte ce document capital, plongeant le lecteur dans le quotidien des génocidaires cambodgiens. Elle identifie trois mots d'ordre au service de l'anéantissement :
cultiver
– la volonté révolutionnaire, l'esprit guerrier et la chasse aux " ennemis " –,
trier
– les " ennemis " à travers diverses méthodes, de la rédaction d'une biographie sommaire à la torture physique, en passant par la réécriture de l'histoire – et
purifier
– les révolutionnaires comme le corps social.
Ces notions reflètent la politique meurtrière orchestrée par le régime de Pol Pot, au pouvoir à partir du 17 avril 1975, qui, en moins de quatre ans, a conduit un quart de la population cambodgienne à la mort. En prenant les Khmers rouges au(x) mot(s),
La Langue de l'Angkar
rend plus sensibles la logique organisatrice et les singularités d'un régime longtemps resté en marge des études sur les génocides.