Gustave Moreau
Bernard Noël chercha sans relâche à cerner la relation entre le corps, le langage et l’identité. Dans ce texte (initialement publié en 1979) il analyse les tableaux de Gustave Moreau, peintre symboliste le plus secret, controversé et troublant de son temps dont les toiles embrassent aussi bien le crépuscule que le renouveau. Elles défient l’irréversibilité du verbe en suspendant le temps : la pensée s’y fait visuelle. La richesse excentrique de ces «collages peints» perturbe le regard et l’entraîne vers un entre-deux insaisissable. Se pose alors cette question qui annonce déjà les Romans d’œil : «Quel lien y a-t-il entre voir et penser ? Un lien fondamental, et que la peinture ranime, car il se perd autrement dans la langue des mots». Proche de Maurice Blanchot et Georges Bataille, Bernard Noël dévoile cette tension perpétuelle entre matière et langage, entre couleur et écriture, en s’appuyant sur les œuvres de celui pour qui «la peinture est un silence passionné».