Politique étrangère - n° 3/2024 - L'Intelligence artificielle ou la course à la puissance - septembre 2024
Editeur(s) POL ETRANGERE
Collection(s) Politique étrangère
Rayon(s) Relations internationales, SCIENCES POLITIQUES
Ean :
9791037308108
Date de parution :
24/09/2024
Résumé : Que l’irruption de l’Intelligence artificielle (IA) ouvre un monde, bouleversant le nôtre, semble (déjà) entendu. La rapidité – la violence – de sa diffusion, la variété de ses applications, ou encore la difficulté à penser sa dynamique même de développement, tout semble promettre d’inconnues révolutions dans tous domaines : l’économique, le militaire, le diplomatique, la vie sociale tout entière…Dans le champ économique, les gigantesques capacités de recueil et de traitement des données de masse ébauchent des développements de marchés mal imaginables. Les entreprises qui sont à l’origine de l’élaboration des moteurs d’IA maîtrisent pour l’heure ses dynamiques d’extension bien mieux que les États eux-mêmes, avec en perspective des moyens inédits de peser sur les échanges mondiaux de toute nature. Acteurs majeurs de la mondialisation, ces entreprises-mastodontes campent désormais au premier rang des acteurs du jeu international.Les plus récents conflits ont permis de mesurer à quel point une IA naissante a déjà modifié nombre de pratiques guerrières. En Ukraine ou à Gaza, on observe ainsi une transparence accrue du champ de bataille, l’aide aux ciblages et l’élargissement de leur champ, et plus généralement les modifications des règles classiques du renseignement opérationnel et stratégique. Même si cette IA, sous ses diverses formes, ne constitue pas un changement absolu du jeu guerrier – il faut toujours des hommes pour tenir le terrain et on peut résister à Gaza même au rouleau compresseur israélien –, elle témoigne de changements déjà advenus, ou promis : les dévastatrices méthodes de ciblage israéliennes, les limitations de l’intervention humaine dans la prise de décision qu’exige la rapidité de la machine, demain la possible maîtrise de ces techniques par des acteurs asymétriques et une vulnérabilité croissante de nos échafaudages cyber…Si la diplomatie est d’abord affaire d’image, de discours et de dialogue, la multiplication des informations, des représentations, des capacités de peser sur les opinions indépendamment des discours structurés par les politiques a toutes chances de bouleverser le jeu. Elle peut certes donner aux États de nouveaux moyens de connaissance, de communication ou d’influence, mais ceux-ci devront se confronter aux moyens innombrables et mal maîtrisables d’autres acteurs. C’est sans doute l’ensemble du champ de l’action diplomatique qui devra être revu pour se préserver, ou s’adapter, bien au-delà des habituels démentis et mises au point face aux déferlantes de désinformation, bref des stratégies réactives et inaudibles.Plus largement, c’est la base sociétale elle-même qui se trouve mise en cause, sans doute dans un double sentiment. D’un côté, on peut croire disposer de moyens de connexion et de connaissance potentiellement infinis, ne dépendant d’aucune autorité classique visible. À l’inverse, rôde la vague perception d’une insécurisation totale : l’impossibilité de distinguer le vrai du faux, de tracer l’origine des informations, de limiter leur diffusion, bref de faire le départ entre le légitime et l’illégitime – distinction au fondement de toute relation sociale et de toute politique rationnelles. Ajoutons ce qui n’est plus seulement une perception : l’incapacité de ses concepteurs mêmes à expliquer les voies et dynamiques de développement de l’IA. L’intelligence humaine ne sera pas dépassée, mais elle pourra être contournée, marginalisée…Face à ces perspectives, qui peuvent froidement être dites angoissantes au vu de l’éclatement des acteurs, des concurrences de puissance et de la place relative (importante par les budgets de développement, limitée par leur pouvoir de contrôle) qu’y occupent les États, la question de la régulation internationale se pose avec acuité, urgence. Ce qui suppose qu’on s’accorde sur les méthodes d’évaluation du phénomène, sur les acteurs concernés, sur les forums efficaces… Un défi énorme, à inscrire au cahier des charges d’une vaste redéfinition du multilatéralisme, qui se fait attendre.***L’événement attendu du 4 novembre changera-t-il la politique étrangère américaine, la présence des États-Unis dans le monde, les expressions de leur puissance ? Si la réponse ne l’est pas, les grilles de lecture sont à peu près connues. Le débat diplomatique américain est marqué par un traditionnel et régulier balancement entre la tentation du repli sur un monde interne et proche, et celle de la projection pour ordonner le monde extérieur ; et, historiquement, par le balancement concret entre deux grandes zones d’engagement – et de guerres au XXe siècle – : l’ouest du Pacifique et l’est européen. Ces grilles classiques de déchiffrement devant être croisées, à chaque temps, avec les interpellations de l’actualité.L’actualité américaine présente, c’est structurellement l’émergence de la concurrence stratégique chinoise. Une concurrence bien réelle, mais pour une issue encore incertaine. Autrement dit, il semble à Washington encore possible d’empêcher, voire de freiner drastiquement, l’affirmation de puissance globale de Pékin. Conjoncturellement, s’imposent les ressauts d’une vieille histoire qui se faisait à l’ouest : le délitement de l’empire russe et l’instabilité du monde arabo-israélien.Au-delà du résultat électoral, c’est sans doute l’équilibrage entre les exigences de long et de court termes qui contraindra l’évolution de la politique d’engagement américaine dans le monde. L’obsession chinoise, transpartisane, a toutes chances de demeurer structurante pour les quatre années à venir : ses modalités d’expression peuvent varier, plus dures ou plus souples, tout en restant bridées par une interdépendance réelle, en particulier au niveau technologique. À l’est, Washington n’aura sans doute d’autre choix, quel que soit l’élu, que de peser pour un gel négocié du conflit russo-ukrainien, en transférant le travail de long terme aux Européens, sous garantie lointaine d’une OTAN à la fois revivifiée et au poids relativisé dans la stratégie globale de l’Amérique. Autrement dit, l’Alliance atlantique demeurera, que nul n’en doute, un élément essentiel de la puissance américaine mais plus au sens politique que militaire : les Européens étant priés – courtoisement ou agressivement, c’est selon… – de se prendre davantage en charge.Au Moyen-Orient, tout sera fait pour ramener le conflit israélo-palestinien à un niveau « gérable » – militairement et politiquement, en particulier avec le développement des relations officielles entre Tel Aviv et ses voisins du Golfe. Mais c’est l’Iran qui constitue la clé de la stabilisation de la région, un Iran écartelé entre ses problèmes internes de stabilité, la nécessité de préserver une influence régionale acceptable et ce qui reste d’esprit missionnaire à la République islamique ou à ses affidés.Pour les Européens, peser sur une situation plus fluide qu’il n’y paraît, c’est sans doute : inventer un modus vivendi stratégique à l’est de l’Europe, sans oublier les aires décisives que constituent le Caucase et la mer Noire ; réapparaître comme acteurs médiateurs et pacificateurs au Moyen-Orient, y compris dans les négociations avec Téhéran, et pas seulement comme reconstructeurs de ce que les autres détruisent ; et définir une politique plus claire vis-à-vis de la puissance chinoise, sans pour autant se parfumer d’être une « puissance du Pacifique »… Géographie oblige : « Pendant longtemps l’Histoire a fait la géographie, les armes à la main… Aujourd’hui, c’est la géographie qui fait l’Histoire. »
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