Gradhiva n°38 - Paroles spoliées - GRADHIVA N 38
L’issue des conquêtes coloniales, les puissances
colonisatrices ne se sont pas seulement approprié des territoires et des biens
culturels : elles ont aussi collecté des paroles. Missionnaires, administrateurs,
ethnologues et linguistes ont, plus exactement, transformé en textes des
énoncés oraux de natures et de fonctions variées dans leur contexte d’origine,
bientôt rassemblés sous la catégorie de « littérature orale ».
En situation d’asymétrie coloniale, ce triple transfert (de
l’oral à l’écrit, d’une langue à une autre, d’un contexte culturel à un autre)
a donné lieu à d’inévitables altérations. Les sources des textes ont parfois
été effacées, et leur sens déformé ou perdu. Quelques anthologies de contes africains,
océaniens, ou autres, se vendent encore aujourd’hui sans que la provenance des
textes ne soit interrogée. Certains ont connu des trajectoires remarquables, notamment
lorsqu’ils sont passés entre les mains de poètes des avant-gardes, comme Tristan
Tzara, Blaise Cendrars, ou Jerome Rothenberg, ou encore d’écrivains eux-mêmes issus
de territoires colonisés, comme Léopold Sédar Senghor ou Patrick Chamoiseau.
Aiguillé par les principes des enquêtes de provenance menées
sur les objets de musée, ce dossier, qui fait le pont entre les recherches
francophones et germanophones sur le sujet, propose des études de cas
africains, caribéens et nord-américains. Quelles sont les logiques d’appropriation
à l’œuvre dans ces transferts ? Est-il possible de les déjouer ?